Les lesbiennes au regard de l’évolution des droits en Esapgne

mardi 4 septembre 2012
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Les lesbiennes au regard de l’évolution des droits en Espagne

Beatriz SIMO-ROIG [1]

Si un jour on m’avait dit que j’aurais à parler à des françaises sur des avancées européennes quelconques mises en place en Espagne, ça m’aurait fait « un drôle d’effet ». Le fait est que, pour le sujet qui nous concerne, « la loi du mariage et d’adoption et ses conséquences dans la vie quotidienne », on est à l’avant-garde de l’Europe dans un pays, ne l’oublions pas, plus en retard que ce que vous imaginez ; car un parti aussi rétrograde que le PP est encore voté par presque la moitié de la population et nous le subissons comme une menace toujours possible de pas en arrière.

1) Je commencerai par un bref historique du mouvement gay et lesbien en Espagne

Si l’on se rapporte à la période du franquisme, pour apprécier d’où l’on vient, la répression a été brutale. Au nom de la loi dite de « danger social », qui châtiait « les abus malhonnêtes » -on ne prononçait même pas le mot « homosexualité »- les gays allaient directement en prison sans procès en tant que responsables d’une sexualité « perverse ».

Pour les femmes, l’invisibilité a été totale jusqu’à la période de la transition démocratique. Avant, les lesbiennes n’existaient pas pour l’État, on ne leur reconnaissait pas la responsabilité d’un choix amoureux ; la prison et les lois n’étaient pas pour elles. C’était les hommes de la famille qui veillaient sur l’honneur des femmes dans l’espace privé des foyers ; or, les amitiés entre femmes proliféraient sans problème pourvu qu’on ne sache pas et qu’on ne dise pas qu’il s’agissait de rapports amoureux très souvent.

Tout de même, certaines lesbiennes les revendiquèrent : on a appris par les journaux, à travers un cas précis, le traitement auquel étaient soumises, dans des hôpitaux psychiatriques ces femmes qui ne voulaient pas se cacher : des électrochocs qui ont provoqué des maladies mentales, des cas de folie pendant le reste de leurs vies. Combien de lesbiennes ont été internées par leur propre famille et victimes de ces traitements ? On ne le saura jamais car, si pour les gays il reste des fiches de police qui permettent de récupérer leur histoire, celle des lesbiennes est perdue ainsi que leurs vies.

2) La première identité lesbienne après le franquisme se développe à l’intérieur du féminisme et dans le premier Mouvement féministe espagnol.

Il y eut des débats très importants sur le lesbianisme comme option politique. Mais, petit à petit, les féministes qui ne voulaient pas être identifiées aux lesbiennes ont réussi à les isoler. Dans les années 80, la militance lesbienne et gay se produit séparément : outre la misogynie des gays de l’époque et l’indifférence vis-à-vis des revendications des lesbiennes, le problème du sida les a accaparés. Cela a marqué le fait qu’il y ait très peu de collectifs lesbiens indépendants représentés dans la vie publique jusqu’aux années 90. A ce moment là, gays et lesbiennes se rapprochent et ce sont elles qui réussissent à imposer un discours spécifiquement lesbien. Aujourd’hui, la présidente de l’ensemble de collectifs gays et lesbiens, COGAM, est une lesbienne : Beatriz GIMENO.

C’est au cours d’une conversation avec cette femme que j’ai appris quelque chose que je dois corriger par rapport à mon abstract : il n’y a pas de PACS en Espagne tel qu’on le conçoit en France et la plupart des soi-disant pacsés ne le savent même pas. Ce qui existe, c’est un enregistrement municipal qui ne donne accès à aucun droit apparenté à ceux du mariage. C’est ce qu’on appelle « parejas de hecho ». En fait, le mouvement gay et lesbien n’a pas voulu de PACS parce qu’il a deviné que cela retarderait la loi du mariage, celle qui donne la plénitude de droits. En attendant, les statistiques tiennent compte du nombre de ces couples sans souligner qu’il s’agit d’un simple enregistrement civil.

3) Vers la fin du gouvernement socialiste de Felipe GONZÁLEZ, a été rédigée la loi actuelle de mariage et d’adoption

C’est important de signaler qu’il ne s’agit pas d’une loi spécifique pour gays et lesbiennes, mais d’une ouverture de la loi existante pour les hétéros qui inclut tout le monde au même titre. Mais c’est la droite qui gagne les élections et les collectifs gays et lesbiens se sont mobilisés énormément dans l’opposition. Avec la victoire socialiste de ZAPATERO en 2005, s’accomplit la promesse électorale qu’il avait faite pendant sa campagne.

Il faut dire que beaucoup de militants gays et lesbiennes étaient aussi des militants politiques dans tous les partis, pas seulement de la gauche, et ont fait un énorme travail auprès des différents leaders, si bien qu’au moment de la votation le Congrès appuie la loi par 183 voix « pour » (toute la gauche et la plupart des nationalistes) et 136 « contre » (tout le PP, excepté l’ex-ministre de Santé, Madame Celia VILLALOBOS, je la cite pour son mérite). Le jour où la loi a été adoptée, de nombreux gays et lesbiennes qui avaient été invités ainsi que les députés qui venaient de la voter, ont applaudi debout, se sont embrassés au milieu de cette salle de Congrès qui a été témoin de tant d’ignominies.

La loi a été définie ainsi : « Que les conjoints soient du même sexe ou de sexe différent, le mariage aura les mêmes conditions requises et les mêmes effets pour les uns que pour les autres ». Cette loi suppose donc l’équité totale de droits entre mariés et l’élimination des termes « mari/épouse ». Maintenant, les mariés sont tous des conjoints.

La perception que beaucoup d’entre nous, lesbiennes, avons de cette loi est qu’elle devance de beaucoup l’état des mentalités en même temps qu’elle les éduque. Au contraire d’autres lois progressistes comme le droit au divorce ou à l’avortement, qui ont fini par s’imposer par une demande sociale très généralisée, celle du mariage ne semblait pas répondre à une réclamation de la majorité, mais surtout au désir des lesbiennes et gays. C’est dans ce sens qu’on peut affirmer la valeur pédagogique de la loi car elle invite à dépasser l’un des préjugés les plus ancrés dans les mentalités ; elle éduque dans un sens de justice plus universel et instaure la normalisation aux yeux de tout le monde, surtout des plus jeunes.

Justement, c’est à partir de cette normalisation que certaines initiatives commencent à pointer. Par exemple, dans les livres de texte des lycéens, il y aura à partir du prochain cours une matière appelée Éducation pour la citoyenneté dont une partie sera dédiée aux droits des gays et des lesbiennes, y compris la loi du mariage. Par ailleurs, dans un lycée de Madrid, un prof a inauguré une nouveauté : il a ouvert un bureau, a mis des panneaux sur tous les murs, invitant les élèves qui le désireraient à parler de leur « diversité affective-sexuelle », et cela a eu un succès fou, car à travers Internet, ce prof et ses élèves sont entrés en contact avec un nombre important de jeunes gays et lesbiennes, heureux d’avoir rompu leur isolement. Un article d’un journal à grand tirage a souligné cette initiative.

4) Quand au lobbying lesbien : il n’y en a pas.

De la même façon que, pour l’instant, la plupart des mariages lesbiens ne sont connus que des intimes, les grands noms de la politique, l’entreprise ou la culture, n’ont pas dit publiquement qu’elles sont lesbiennes ; nous le savons entre nous. Hors du milieu, pas de visibilité dans le quotidien.

Par contre, beaucoup de gays, aussi bien de gauche que de droite, ont revendiqué publiquement leur condition « affective-sexuelle » et il y a eu des mariages de colonels de l’armée, de députés conservateurs, d’artistes, de prêtres qui ont plaqué la soutane le même jour où ils régalaient leur demande de mariage…une authentique sortie du placard ! Le quartier de CHUECA à Madrid est investi depuis plusieurs années par un lobbying gay avec un petit pourcentage de lesbiennes.

5) Depuis la loi, et selon l’I.N.E., il y a eu plus de 5.000 mariages dont 25 % de lesbiennes

Des 11 mariages par jour entre personnes du même sexe, le pourcentage de lesbiennes est le même : 25 %. En réalité, les chiffres sont plus élevés car la moitié des services d’État Civil ne sont pas informatisés.

En général, les lesbiennes qui se sont mariées sont surtout :

  • celles qui étaient en couple depuis des années ;
  • celles d’un certain âge ;
  • des fonctionnaires ;
  • des européennes résidentes en Espagne ;
  • mais on en trouve aussi de tout âge et métier.

6) Le débat public : tout débat en Espagne où intervient la droite politique tourne au pugilat

Face à toute mesure progressiste, les essences de la patrie se réveillent à l’unisson : par exemple, des dizaines d’associations de parents d’élèves qui se déclarent objecteurs de conscience face à cette nouvelle matière dont j’ai déjà parlé et tachent d’empêcher son implantation au lycée. Ils ont déjà réussi, à force de protestations, à faire écarter les gays et lesbiennes de la rédaction du chapitre qui nous concerne, comme c’était initialement prévu ; l’Eglise qui crie à l’attentat contre Dieu et contre toute la société (ET L’EGLISE EN ESPAGNE A BEAUCOUP DE POIDS) ; le Vatican qui demande aux fonctionnaires chrétiens de se refuser à marier les couples du même sexe ; le PP qualifiant la loi d’aberrante et « contra natura »… bien que depuis que quelques hommes politique de leur file se sont mariés, ils ont baissé le ton. Et malgré l’appui offert aux fonctionnaires contre la loi, il n’y a eu que trois juges qui aient refusé de marier ces couples.

Par ailleurs, les 80 % jeunes se déclarent favorables à la loi.

Je voudrais signaler, pour finir, que certains considèrent la loi conservatrice dans la mesure où le mariage canonique, tel qu’on le connaît dans l’histoire est réac. Ça suffirait de voir la contrariété pathologique de l’Église et la droite pour voir que, quelque chose de très important leur a échappé des mains. Par ailleurs, si le mariage hétéro a été utilisé pour donner légitimité à la division sexuelle du travail, le mariage entre personnes du même sexe rompt avec cette logique, et instaure un contrat entre égaux, vraiment égaux.


[1Agrégée en Philosophie par l’Université Complutense de Madrid. Elle collabore, dans cette même université, à l’Institut de Recherches féministes dans cette même université.
Elle est également Licenciée en Lettres françaises par la Sorbonne et prépare actuellement une thèse doctorale sur Simone de Beauvoir.

Publications :
Feminismo y misoginia en la literatura castellana : María Zambrano Ed. Narcea ; Aspectos polémicos del pensamiento de Simone Weil (article dans les Actas del Seminario de la Universidad de Valladolid).}


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