La représentation au cinéma de la relation des lesbiennes avec l’argent

samedi 16 juin 2012
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La représentation au cinéma de la relation des lesbiennes avec l’argent

Janick Penhoat, Marine Lemant, Marrianne Deforges [1]

Débat Ciné propose une réflexion non exhaustive sur la représentation au cinéma des lesbiennes et l’argent évoquées à travers différents thèmes : l’habitat, le travail, les luttes de pouvoir, le racisme, les classes sociales, la culture, les révoltes, les rapports dans le couple, la dépendance économique... Dans le contexte économique actuel, des réalisatrices proposent une autre façon de penser, de construire, de déconstruire notre rapport à l’argent et "Oublier Cheyenne".

Présentation du groupe Débat ciné

Débat ciné a été créé il y a 3 ans par quelques lesbiennes de la Barbare, lieu non mixte de Montreuil. A la fermeture de ce lieu, nous avons eu la sensation d’un vide politique, et nous avons donc créé un espace de réflexions, d’interrogations et de rencontres à travers le prisme du cinéma.

Le groupe a été ouvert aux lesbiennes s’intéressant au cinéma lesbien. Les premières rencontres se sont déroulées à la Maison des Femmes de Paris et au Centre LGBT.

Le groupe a ciblé de façon plus fine ses objectifs :

  • travailler sur une thématique essentiellement lesbienne, et non homosexuelle nous est apparu comme un choix politique incontournable. Nous nous sommes ainsi interrogées sur la définition "être lesbienne" : est-ce juste avoir une relation sexuelle et/ou amoureuse avec une femme, ou avoir aussi une réflexion politique sur le lesbianisme ;
  • partager des moments agréables, qui n’empêchent en aucune manière des discussions "chaudes", voire même houleuses, moments qui nous amènent aussi à partager entre nous des réflexions, des questionnements plus personnels ;
  • faire partager notre intérêt sur la représentation des lesbiennes dans le cinéma en général, et en particulier, dans le cinéma lesbien ;
  • se confronter à d’autres regards, d’autres idées pour évoluer ensemble lors des débats après les projections.

Les lesbiennes et l’argent

Ces dernières années, pratiquement tous les lieux collectifs lesbiens ont fermé. Une des causes la plus fréquemment avancée est que les lesbiennes manquent d’argent et que leur priorité n ‘est pas de faire vivre un lieu ou collectif lesbien.

Pour avancer dans cette réflexion avec la Coordination Lesbienne, nous avons voulu aborder la représentation de la relation des lesbiennes avec l’argent dans les films lesbiens.

Nous avons visionné environ 150 films réalisés de 1960 à nos jours. Parmi les films facilement accessibles en France, la majorité vient d’Europe ou d’Amérique du Nord. On a aussi trouvé des films d’Afrique du Sud avec The World Unseen de Shamim Sarif, d’Inde avec Fire de Deepa Mehta, et The Journey de Ligy Pullappally ; de Chine avec Les filles du Botaniste de Dai SIjie d’Israël avec Round Trip de Shahar Rosen.

Nous avons constaté que très peu de films abordent de front le sujet de l’argent et surtout pas dans le cadre d’une revendication politique à l’exception de "Oublier Cheyenne" de Valérie Minetto où une des héroïnes cherche à rompre avec la société de consommation.

La représentation de l’argent, des problèmes économiques, de la dépendance, du statut social et de la classe sociale est plus souvent mise en avant dans les films asiatiques et africains que dans les films européens ou d’Amérique du Nord

Pas central mais traverse l’histoire

A défaut d’un traitement politique de l’argent, ce thème traverse plusieurs films. Par exemple la 1ère partie de Sex Revelation de Jane Anderson met en scène un couple de lesbiennes âgées qui ont vécu toute leur vie ensemble. L’une des deux meurt, elle était la propriétaire de la maison. Sa famille veut récupérer la propriété. L’autre femme perd tout.

Ce film est centré sur une histoire personnelle mais à travers elle, on voit l’un des aspects économiques de l’hétérosocialité. Le sujet dans ce film n’est pas directement l’argent, mais il nous amène à nous questionner sur ce qui aurait permis à cette femme de sauver sa maison. Est-ce qu’un PACS l’aurait aidée ? N’y a-t-il pas des stratégies que les lesbiennes pourraient inventer pour contourner le système patriarcal ?

Dans Robin’shood, les deux héroïnes en manque d’argent braquent une banque pour tenter de sortir de la galère. Elles ne posent pas leur action comme un acte politique mais uniquement comme une réponse à un besoin personnel. Le film interpelle cependant les spectatrices sur les réponses possibles que les lesbiennes peuvent apporter à leur manque d’argent.

Très peu de films montrent la situation économique des héroïnes dans le quotidien, on les voit peu à leur travail ou confrontées aux questions d’argent.. Round trip fait exception sur ce point Ce sujet ne semble apparaître qu’au moment des ruptures, soit avec leur famille, soit avec leur mari, soit avec leur amante.

En entrant dans une relation lesbienne, les femmes perdent souvent leur confort économique, leur statut social. Dans Fire, le film montre les traditions et relations dans une famille indienne aisée. Une jeune femme après un mariage arrangé, tombe amoureuse de sa belle sœur. Toutes deux vivent dans un milieu confortable avec une sécurité économique. Malgré tout, elles préfèrent perdre cette sécurité et ce statut social en s’enfuyant pour vivre leur histoire. Ou comme dans Late Bloomer où la secrétaire du proviseur tombe amoureuse d’une professeure de gymnastique. Elles sont toutes les deux licenciées, insultées parce qu’elles refusent de casser cette relation. Les deux femmes perdent leur statut social, leur confort économique.

En réaction à leur galère économique, plusieurs films racontent le parcours de lesbiennes qui se prostituent, comme dans Tipping the velvet film tiré du roman de Sarah Waters, Round Trip, ou Monster de Patty Jenkins.

La dépendance économique dans le couple

La dépendance économique dans le couple est souvent montrée quand les lesbiennes sont encore dans une relation hétérosexuelle, c’est bien sûr la dépendance de la femme par rapport à son mari, mais presque jamais lorsqu’elle a une histoire avec une autre lesbienne.

Dans les rares films lesbiens qui abordent ce sujet, la question est traitée avec les standards hétérosexuels comme par exemple dans Itty Bitty Titty Commitee de Jamie Babbit : une lesbienne âgée entretient une jeune étudiante. Ce film sous entend qu’il y ne peut y avoir une réelle histoire d’amour quand il existe une différence d’âge très marquée. Cette représentation est chargée de préjugés : le parallèle avec une personne âgée et l’entretien économique d’une femme beaucoup plus jeune. C’est comme si une lesbienne plus jeune ne pouvait pas aller vers une lesbienne plus âgée sans qu’il y ait une compensation financière.

Les couples de lesbiennes ayant des différences d’âge sont-ils les seuls confrontés au problème de la dépendance économique ? L’âge est-il vraiment le seul facteur responsable des disparités de richesse ?

L’environnement économique

Dans certains de ces films avec de jeunes héroïnes lesbiennes, on peut difficilement définir le niveau économique des actrices (Sonja de Kirsi Liimatainem, Itty Bitty Titty Committee, La Naissance des pieuvres de Céline Sciamma) Mais dans la plupart, on devine plus ou moins nettement que les jeunes lesbiennes évoluent dans des milieux privilégiés comme dans I can’t think straigt de Shamim Sharif, Family Affair d’Helen Lesnick, Sex revelation 3e partie de Anne Heche, et comme dans la série The L Word. Cette liste n’est en rien exhaustive.

Ces milieux riches sont censés nous faire rêver en nous emmenant loin de nos réalités quotidiennes. Mais c’est à mille lieux de ce que 99% des lesbiennes vivent et ça affaiblit, au moins pour nous, l’intérêt que l’on peut porter aux autres sujets traités dans les films ou les séries.

Quant aux lesbiennes âgées, exception faite de Claire of the Moon de Nicole Conn, de Sex revelation 1ère partie, de High Art de Lisa Cholodenko, et de Ma mère préfère les femmes d’Ines Paris et Daniela Fejerman, elles apparaissent dans trop peu de films pour en tirer une conclusion. Les seuls éléments présumant de leur niveau de vie sont leur profession. Elles sont souvent professeures, artistes, médecins…). Le métier et l’argent sont des éléments moteurs de l’intégration.

Conclusion

Pour conclure, il y a une visibilité lesbienne de plus en plus importante mais banalisée dans les films.

Les relations des héroïnes avec l’argent ne sont pas différentes, dans la majorité des films, de celle que l’on trouve dans les films hétéros. On retrouve le plus souvent, sans trop de surprise, des lesbiennes plutôt jeunes, blanches, et riches.

Sauf de très rares exceptions dont Born in Flame de Lizzie Borden , Oublier Cheyenne, les films ne remettent pas fondamentalement en cause la société néolibérale, ne proposent pas un nouveau type de société qui inventerait un autre rapport à l’argent et à l’environnement .

Nous n’avons trouvé que très peu de films mettant en scène des groupes politiques lesbiens à l’exception de Born in flames et Itty Bitty Titty Commitee.

En règle générale, les films montrent que pour être une "bonne" lesbienne, il faut être digérée, normée, et surtout intégrée, avoir des modes de vie qui ne dérangent pas la société patriarcale : travailler, faire des enfants, se PACSer, être productives.

Maintenant, nous attendons avec impatience un cinéma lesbien revendicatif, engagé, militant qui éclaterait tous ces clichés…

Le temps imparti ne nous permet pas d’approfondir le sujet, cependant nous espérons avoir ouvert quelques pistes de réflexions.


[1membres de Débat-ciné


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