Texte 10

vendredi 2 mars 2012
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LE LESBIANISME : VIVRE ET S’AIMER ENTRE FEMMES

Marie-Jo, février 1976, Libération, mars 1976

Pour les médecins flikiatres, nous sommes des malades mentales, des perverses et des dégénérées.

Pour les flikiatres "politisés", nous sommes des déviantes, des névrosées, des inverties, des infantiles.

Pour les psychologues, nous sommes des narcissiques ou des clitoridiennes.

Pour les biologistes, des erreurs de la nature qui ont chromosome en trop.

Pour le Père de la psychanalyse, nous avons refoulé notre tendance hétérosexuelle.

Pour le Père des Écrits, l’objet petit f.

Pour le père de dix enfants, nous sommes des anormales.

Pour l’homme de la rue, des sales gouines.

Pour l’homme normal, des pathologiques.

Pour l’analyste lacanien, nous sommes des individus qui n’ont pas le Phallus mais qui le voudraient bien.

Pour les moralistes, nous sommes des vicieuses, des débouchées, des femmes atteintes de folie érotique.

Pour les super‑virils, nous sommes des mal‑baisées.

Pour le Pape, nous sommes le péché mortel.

Pour le législateur français, un fléau social.

Pour nos parents, nous sommes la honte de la famille.

Pour Ménie Grégoire, un douloureux problème.

Pour le parti communiste, des petites-bourgeoises perverses.

Pour les gauchistes, des individualistes petites bourgeoises apolitiques.

Pour la majorité sexuelle de la gauche, une minorité sexuelle. Et certaines femmes appartenant à des organisations hiérarchisées d’extrême gauche nous accusent de faire du terrorisme homosexuel quand nous voulons parier de nos relations.

Pour le groupe Psychanalyse et politique qui possède une maison d’édition "des femmes", des librairies "des femmes" et des milliards "des femmes", nous sommes des lesbiennes sectaires, des femmes phalliques honteuses, prises dans l’inversion de la masculinité, des féministes revendicatives, intégrées au système masculin.

Bref, nous ne sommes pas des femmes, nous sommes des monstres. La répression pour nous, c’est ça, c’est partout, c’est quotidien, c’est subtil, et parfois efficace.

On ne nous envoie pas en prison. Mais les médecins et les psychanalystes veulent nous soigner, nous guérir dans les meilleurs des cas, nous envoyer en hôpital psychiatrique dans les pires.

Notre famille veut sans arrêt nous marier. Au travail, quand ils savent que nous sommes lesbiennes ils nous ont à l’œil ils nous tendent des pièges, ils font des allusions perfides et ils prennent prétexte de la moindre bavure professionnelle pour nous renvoyer. Au cinéma, ils nous donnent en spectacle et nous humilient pour faire jouir les voyeurs. Les hommes veulent nous violer pour nous prouver que nous sommes mai baisées et nous faire des enfants pour nous tenir tranquilles. La gauche veut nous culpabiliser au nom de la révolution et de la lutte des classes.

On a toutes connu ça. Ne jamais pouvoir parier à quelqu’un de nous par crainte d’être rejetée ou persécutée ; être obligée de vivre cachée ; le poids de la solitude, la haine des normaux ou la condescendance hypocrite des gens tolérants qui comprennent nos problèmes. L’homosexualité, ce n’est pas notre problème, c’est le problème de la société hétérosexuelle.

La répression, c’est aussi l’homosexualité connaît pas, ça n’existe pas, ce n’est pas sérieux ou c’est la pire des catastrophes qui pouvait nous arriver, une maladie honteuse, la dépravation absolue, l’inconcevable dans l’horreur.

La répression. ça sert à justifier leur hétérosexualité et leur normalité, à renforcer leur pouvoir sur les femmes, à nous obliger à vivre cachées, à nous diviser pour régner, nous isoler les unes des autres, nous culpabiliser, nous réduire au silence. Pourquoi sommes‑nous devenues les boucs émissaires de leur société mâle‑ade ? Parce que nous refusons de nous soumettre à la loi des hommes phallocrates et hétéroflics. Parce que nous disons que la femme n’est pas destinée à l’homme pour l’éternité et que les rapports de force hétérosexuels ne sont pas naturels. Nous n’avons pas besoin d’être protégées par eux.

La famille est l’institution qui justifie la mise au pas des femmes au nom de l’amour de l’homme et des enfants avec en prime le travail ménager pour le maître. Nous combattons la normalité sociale qui voue les femmes aux mâles, aux marmots, aux machines. aux marmites. Notre jouissance n’est ni une masturbation à deux. ni une régression vers les rapports mère‑enfant. ni une caricature des rapports homme‑femme. C’est un plaisir propre aux femmes. c’est‑à‑dire non accordé, mesuré, étiqueté, réglé selon les mâles : notre plaisir.

LA RÉPRESSION N’EST PAS UNE FATALITÉ

C’est dans la lutte féministe que nous avons retrouvé notre fierté de femme, notre amour des femmes, et que nous essayons de construire notre autonomie de femme. Il est nécessaire pour toutes les femmes de s’unir et de ne pas avoir peur d’aimer les femmes. C’est ça notre force, c’est de ça qu’ils ont peur. Et ce n’est pas uniquement une question de sexualité. Car pour moi, aimer les femmes, ce n’est pas être homosexuelle, c’est être LESBIENNE. Il y a une différence entre les deux. L’homosexualité fait référence à la sexualité donc aux oppositions hétéro‑bi‑homo. C’est l’étiquette qu’on nous colle pour nous diviser entre femmes selon le critère de nos pratiques sexuelles. Tandis que le lesbianisme évoque pour moi une polarité féminine, polarité culturelle, psychique, affective, sexuelle, créative. Pour moi, une culture de femme, une culture qui concerne les femmes, ne peut être que lesbienne. C’est aussi renouer avec le combat de nos sœurs qui, dans L’histoire ont lutté contre le pouvoir mâle. Sapho. les Amazones, les Sorcières, Christine de Pisan. Louise Labbé, Olympe de Gouges, Mary Wollstonecraft, Flora Tristan, Emeline Pankhurst, Louise Michel, Louise Otto Peters, Madeleine Pelletier, Hélène Brion, Nelly Roussel, Hélène Lange, Virginia Woolf, Renée Vivien, Valérie Solanas et bien d’autres encore.

Il est nécessaire pour nous maintenant de retrouver le chemin de notre propre créativité, de nous donner les moyens de construire notre culture, de sortir du mutisme. Nous n’avons aucun modèle, aucune norme, nous devons tout créer entre nous, c’est difficile, mais au moins, on vit, on existe pour nous.

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