Visibilité vers les politiques et les groupes féministes

mardi 4 septembre 2012
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Visibilité vers les politiques et groupes féministes

Jocelyne FILDARD [1]

Mon intervention s’intitule « Visibilité vers les politiques et vers les groupes féministes ». Il aurait été plus logique et plus juste de dire « Visibilité vers les groupes féministes et vers les politiques ». En effet, dans les faits, c’est la visibilité vers les féministes, vers le mouvement des femmes qui a permis et impulsé une visibilité vers les politiques, vers les pouvoirs publics, vers le Gouvernement et indirectement vers le grand public.

De notre visibilité dans le Mouvement des femmes

Souligner que les lesbiennes font partie du groupe social femme (je me positionne au-delà des débats philosophiques, au-delà des théories : queer, de genre etc., pour dire cela) me permet d’appuyer mon argumentation sur la réalité systémique qui les discrimine parce que femmes, c’est à dire, la domination masculine. Ça me permet aussi de me positionner dans la réalité de la revendication, comme on peut la porter mais surtout telle qu’elle peut être entendue aujourd’hui dans la société, par les pouvoirs publics, par les politiques etc...

Et pour porter les revendications essentielles des lesbiennes discriminées en raison de leur choix de vie mais aussi en tant que femmes, il allait de soit que la CLF s’inscrive, s’engage dans les instances représentatives du Mouvement des femmes, d’autant plus que certaines de ses militantes oeuvraient depuis longue date dans le mouvement féministe. Elles avaient été actives dès les premières heures du MLF ; c’était donc une évidence de continuer à s’inscrire dans la lutte globale pour les droits des femmes, les droits des unes étant indissociables des droits des autres, comme le dit slogan parfois scandé en manifestation « quand une femme se lève ce sont les femmes du monde entier qui se lèvent avec elle », autrement dit les avancées des unes favorisent les avancées des autres, de toutes et même de tous !

C’est ainsi, dès sa création officielle en 1997, que la CLF rejoint le CNDF (Collectif National pour les Droits des Femmes), sorte de fédération composée de 140 organisations en moyenne, nombre fluctuant selon les actions, selon le contexte social ou politique. Ces organisations sont : des associations féministes, des associations lesbiennes féministes puisque la CLF en fait partie, et les commissions femmes des syndicats et de partis politiques de gauche. Celui-ci a des antennes dans certaines régions. Et la CLF est au Secrétariat qui est la force de proposition, d’impulsion d’actions et qui est représentatif de l’ensemble du CNDF auprès des pouvoirs publics, de différents partenaires politiques et de la société civile.

En 1998/1999 la CLF s’engage dans la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et les violences faites aux femmes pour préparer à l’époque la Marche des femmes de l’an 2000. Ce mouvement international, d’origine québécoise, est constitué de 5500 groupes répartis dans 163 pays, divisé en coordinations continentales et nationales dont une coordination française qui est composée d’une trentaine d’organisations : associations et syndicats confondus.

Enfin un peu plus tard, la Coordination lesbienne rejoint la CLEF (Coordination française du Lobby Européen des Femmes) : entité de 70 associations rattachées à d’autres coordinations nationales et européennes, le tout fédéré en un ensemble le LEF : Lobby Européen des Femmes soit 4000 associations et fédérations réunis. Nous faisons partie du bureau de la CLEF, Evelyne Rochedereux de la CLF, y est trésorière.

Donc, vous le voyez, nous avons là de fabuleux outils pour inscrire les revendications lesbiennes dans un rapport de force nécessaire aux avancées, pour aller vers l’égalité des droits entre les homosexuel-LE-s et les hétérosexel-LE-s, mais aussi entre les femmes et les hommes.

Par ailleurs, ce sont aussi de fabuleux outils pour porter notre visibilité dans une dimension nationale et européenne.

Un mot pour dire des maux

Comment s’est opérée notre visibilité vers et au sein du mouvement des femmes et vers quoi cela nous a propulsées.

Tout d’abord, pour aller vers la visibilité, il fallait dénoncer l’invisibilité, dénoncer la spécificité des discriminations et des violences que vivent les lesbiennes.

Il fallait essayer de nous sortir de l’universalisme dans lequel nous étions noyées c’est-à-dire nommer nos violences et discriminations non plus par le vocable homophobie qui nous rendait invisibles ; tout comme, pour prendre un exemple, lorsque l’on parle des droits de l’Homme, même si cela est avec un H, ça noie les femmes dans l’universalisme en les rendant invisible.

Nous devions, donc, dire la lesbophobie, pour la faire reconnaître, pour qu’elle soit entendue puisque « Ce qui n’est pas nommé n’existe pas ». Pour la petite histoire, la première fois le mot lesbophobie a été utilisé par la CLF, c’est dans un document de travail rédigé en 1998 pour une réunion préparatoire de la Marche mondiale qui avait lieu à Montréal...est-ce nous qui avons créé ce vocable ? Toutefois, nous l’avons défini ; je recherche actuellement son origine, car si nous pouvions le faire entrer au Dictionnaire cela serait aussi une belle avancée d’autant plus qu’il est de plus en plus usité, dans les associations, dans les documents des partis politiques, dans la presse..... Donc concrètement, nous utilisions un mot pour dire une réalité. Nous utilisions un mot pour dire des maux afin de sensibiliser nos différentes partenaires du mouvement des femmes et un peu plus tard le mouvement LGBT, notamment l’inter-associative LGBT avec qui nous travaillons.

Rendre les lesbiennes visibles dans la revendication législative

Un deuxième élément nous a permis de rendre visibles les lesbiennes et la lesbophobie. Vers la fin 1999, il y a eu un regain de violences, notamment verbales, concernant les homosexuel-l-es, il y a eu une manifestation de « réacs » qui a crié les « pédés au bûcher ».

En réponse, s’est levé, de suite, un mouvement de protestation et nous avions vu apparaître un certain nombre de propositions de loi, pour pénaliser tout cela, rédigées par certains partis politiques ou par des collectifs d’associations.

Or, vous le savez, dans la loi le législateur parle d’orientation sexuelle, c’est encore noyer, invisibiliser les choses dans un universalisme avec pour conséquence de gommer les discriminations qui concernent l’homosexualité : l’hétérosexualité, la bi-sexualité...étant aussi des orientations sexuelles. Toutefois, avant, le corpus législatif, il y a l’exposé des motifs ; c’est là que l’on y argumente, que l’on documente par des exemples pour faire comprendre le pourquoi de la nécessité de légiférer. Mais, dans toutes ces propositions de loi, de cette l’époque, soit en 1999/2000, rédigées par des partis politiques ou par des collectifs d’associations mixtes (femmes et hommes)....aucune ne rendait visibles les violences vécues par les lesbiennes....Toutes reprenaient la phrase, certes, assassine et ignoble, qu’il fallait dénoncer « les pédés au bûcher », mais rien sur les viols punitifs qui atteignaient les lesbiennes parce que femmes refusant leur corps au patriarcat, alors que nous connaissions des cas dramatiques de viols, des cas de harcèlement, de violences physiques, de violences mentales dirigées vers les lesbiennes en raison de leur orientation, j’ai envie de dire, de leur orientation homosexuelle et de leur condition de femme.

Aussi, notre réponse fut de rédiger notre propre proposition « d’amendement du droit civil et du droit pénal pour lutter contre les comportements et discriminations lesbophobes et homophobes ».

Ainsi parées, vocable lesbophobie d’un côté et proposition de loi de l’autre, nous avions là, matière à pouvoir exercer une forme de lobbying pour faire entendre notre voix, pour faire prendre conscience de notre existence, pour faire prendre en compte les violences et discriminations vécues parce que femmes et lesbiennes, nous en avons usé abondamment.

Quels ont été les résultats concrets de tout cela ?

Quelques exemples de visibilité accomplie.

Au niveau européen :

Notre participation à la CLEF, a permis en 2005, d’organiser pour la première fois un atelier sur les lesbiennes au cours d’un conseil d’administration du LEF (Lobby Européen des Femmes). Les prises de conscience qui s’en suivirent, ont incité les féministes européennes à aller au-delà de belles déclarations de principe et de porter les revendications lesbiennes en les inscrivant sur la feuille de route du LEF afin d’engager des actions concrètes de lobbying vers le Parlement Européen pour lutter contre les discriminations subies en raison du lesbianisme.

De même, la participante de la CLF à la délégation de la CLEF qui préparait la réunion de la commission de l’ONU sur le statut des femmes a permis de faire pression sur la représentante du gouvernement français qui avait complètement occulté les lesbiennes dans ces travaux et discours pour cette occasion. Ce qui, espérons-le a dû favoriser des prises de conscience et qui est un bel acte en faveur de notre visibilité au niveau international.

Quant à la Marche Mondiale, elle nous porte au niveau européen par la prise en compte de nos revendications et favorise des rencontres lesbiennes en vue de créer un réseau européen lesbien. Elle nous rend visibles en nous donnant accès à des interventions dans différents événements tels que par exemple les forums sociaux européen (FSE) de Florence et de Paris.

Enfin, CLEF et Marche Mondiale ont aussi des actions nationales et j’aimerais vous conter l’une des plus belles réussites collectives. En 2006, par le biais d’action conjuguées, CLF et CLEF, CLF, Marche Mondiale, et enfin CLF et Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF), nous avons participé positivement à favoriser l’obtention d’un titre de séjour de 10 années pour une demandeuse d’asile arménienne menacée dans son pays en raison de son homosexualité. L’action CLEF et CLF a permis l’intervention d’un membre du Gouvernement et l’action CLF, Marche Mondiale, Collectif National pour les Droits des Femmes et diverses autres associations a soulevé un important mouvement de solidarité : le tout conjugué a permis cet heureux aboutissement.

Au niveau national :

Maintenant, voyons les avancées au niveau national, c’est à dire via le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF), c’est mon mandat essentiel, j’y représente la CLF depuis 10 années et c’est là où je me sens bien pour militer.

Il ne me semble pas que ce soit une appréciation partisane que de dire que le CNDF a été l’instance qui a permis une reconnaissance remarquable des inégalités et discriminations qui nous touchaient. Il a porté véritablement nos revendications et favorisé notre visibilité par de nombreux contacts avec les partenaires influents.

Bien sûr, il a fallu y prendre notre place, nous y avons vécu des hauts et des bas, mais si on fait le bilan en définitive : plus de hauts que de bas. Le CNDF a été, est un véritable tremplin pour nous faire connaître des partis politiques, des parlementaires, des pouvoirs publics. Pour rendre visible la lesbophobie.

Dans presque toutes les manifestations, colloques, débats, conférences de presse sur les violences ou l’ensemble des droits des femmes, nous avons la parole, une parole libre.

Lorsque le CNDF rencontre parlementaires, ministres ou cabinet ministériel assignés aux droits des femmes et autres institutions, nous faisons partie des délégations ; pour donner un exemple concret nous avons été auditionnées par différentes commissions et groupes parlementaires à l’Assemblée Nationale lors du projet de loi qui devait pénaliser les propos discriminatoires à caractères sexistes et homophobes. Ce qui nous a permis de dénoncer la lesbophobie.

Dans tous les documents édités : plates-formes, brochures, tracts, affiches nous sommes visibles. Pour illustrer par un exemple en 1998/99 le CNDF organise une campagne contre l’Extrême droite et ses complices. Il élabore alors affiches et brochures qui dénoncent les comportements inadmissibles de cette extrême droite parmi ceux-la : la lesbophobie. Ces supports seront distribués par milliers dans le pays entier, dans le monde associatif, politique mais aussi dans la rue.... C’était la première fois, en France, que la lesbophobie était dénoncée à si grande échelle, ce qui touchait la société civile et faisait écho vers le grand public.

Enfin la dernière grande avancée est la prise en compte de la lesbophobie dans la proposition de « loi cadre » contre les violences faites aux femmes, élaborée récemment par le CNDF. Que la lesbophobie soit prise en compte dans ce texte juridique est une démarche inédite. Inédite car cela va au-delà de propositions de lois rédigées précédemment par certains partis politiques qui envisageaient la lesbophobie uniquement sous l’angle des violences vécues en raison de l’orientation sexuelle, occultant ainsi la composante sexiste vécue par les lesbiennes parce que femmes. Dans ce texte les violences faites aux lesbiennes sont prises en compte dans l’ensemble des violences faites aux femmes. La lesbophobie fait alors partie de l’ensemble des violences que vive les femmes.

Nous ne connaissons pas le devenir de cette proposition de loi avec la nouvelle donne politique, mais si elle inscrite aux débats parlementaires, s’il est adoptée, vous voyez l’avancée...Bien sûr, la loi n’est qu’un moyen ; un moyen qui doit être utilisé pour condamner l’insupportable, pour fixer les bonnes règles. Mais la reconnaissance juridique des préjudices peut aider à la reconstruction des victimes, surtout lorsque l’on est lesbienne et que l’on traîne parfois une lourde culpabilité de ne pas répondre à la norme sociale.

Par ailleurs, la loi est normative et si une telle loi était adoptée cette reconnaissance juridique engendrerait symboliquement une reconnaissance de nos spécificités.

Toutefois, malgré ces avancées probantes, il reste encore beaucoup à faire, il reste à imaginer des stratégies nouvelles, une originalité dans nos actions mais cela demande des énergies créatrices, des implications solides, beaucoup d’espoir et de persévérance pour que demain chacune puisse vivre son choix de vie dans la plus grande liberté possible...c’est un défi que nous relevons !

Abréviations utilisés :

  • CLEF : Coordination du Lobby Européen des Femmes
  • CLF : Coordination Lesbienne en France
  • CND : Collectif National pour les Droits des Femmes.
  • LEF : Lobby Européen des Femmes.

[1En 1977, monitrice bénévole dans une association qui prépare des femmes immigrées à entrer en formation professionnelle, Jocelyne Fildard prend conscience du caractère systémique des oppressions qui touchent l’ensemble des femmes. Epoque déterminante qui est le moteur qui lui fait rejoindre, en 1978, les féministes. Elle adhère alors au Mouvement Jeunes Femmes. Elle crée des groupes en banlieue nord et participe aux travaux de l’équipe rédactionnelle et à ceux du centre de documentation du mouvement.

Quelques années plus tard, une amitié profonde et intellectuelle qui la lie à une lesbienne adhérente au groupe des « lesbiennes radicales » renforce sa réflexion sur le lesbianisme et influe sur ses options militantes.

En 1996, elle rejoint le Collectif Féministe Rupture ; elle est impliquée, par ce biais, dans la préparation des « Assises Nationales pour les Droits des Femmes » organisées par le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF). Dans ce cadre, avec l’historienne M.J. Bonnet et une ex-militante du groupe des lesbiennes radicales, elle prépare le Carrefour lesbien.

En 1997, à l’issu des Assises Nationales pour les Droits des femmes, elle est mandatée par la Coordination Lesbienne en France (CLF, à l’époque Coordination Lesbienne Nationale) pour la représenter au Collectif National pour les Droits des Femmes ; elle y impose la dimension lesbienne dans toutes les actions et revendications et participe en 2006 à l’élaboration de la « proposition de loi cadre contre les violences faites aux femmes ». Texte législatif dans lequel elle fait prendre en compte la lesbophobie.

Membre du Secrétariat du CNDF, depuis plusieurs années, cette fonction lui permet d’engager de nombreux contacts avec les partis politiques de gauche et les pouvoirs publics et de sensibiliser ces derniers à la question lesbienne.

Enfin, elle a participé à la commission Lesbophobie : de la CLF qui a rédigé la « proposition d’amendement du droit civil et du droit pénal pour lutter contre les comportements, propos et discriminations sexistes, lesbophobes et homophobes ».

Elle a été jusqu’à cette année déléguée de la CLF à la Marche Mondiale des Femmes contre la pauvreté et les violences faites aux femmes.

Elle est par ailleurs membre de CQFD Fierté Lesbienne.


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