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vendredi 2 mars 2012
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LE SADO-MASOCHISME LESBIEN

AHLA – Vol II – n° 2 – Tribune libre (chronique ouverte aux textes qui reflètent des positions politiques diverses et différentes des nôtres. Nous pensons qu’il est important de publier ces textes, mais, sans qu’il y ait nécessairement obligation de notre part d’y répondre).

LE SADO-MASOCHISME LESBIEN : UNE PRISE DE POUVOIR

Amber – AHLA – Vol II n° 2 – octobre 1983 – pp 33-38 – Montréal

On a déjà beaucoup discuté le pour et le contre du Sado-Masochisme lesbien. Savoir si une pratique sexuelle S/M était vraiment appropriée pour des lesbiennes féministes tant au niveau politique, émotif que social.

Or, les faits sont là pour témoigner que plusieurs d’entre nous qui avons travaillé à briser les stéréotypes sexuels dans nos vies, notre travail et nos amours, sommes impliquées dans des relations sado-masochistes.

Pour beaucoup d’entre nous le privé est bien politique. Et c’est pour cette raison qu’il me semble important de commencer à analyser la montée de la popularité du mode d’expression S/M dans la communauté lesbienne.

Le Sado-masochisme n’est certainement rien de nouveau. A l’intérieur du mouvement des femmes, nombreuses sont celles qui assument leur lesbianisme publiquement mais qui restent cachées depuis des années quant à leur pratique sexuelle S/M. Celles qui sont visibles doivent admettre la désapprobation générale de leurs sœurs en lutte.

Cependant le temps est venu où nous commençons à être acceptées (malgré certaines réticences) comme une partie du mouvement des femmes pour la liberté d’expression et d’auto-détermination.

Le Sado-masochisme a un lien étroit avec le pouvoir, un des concepts le moins bien compris et le plus alarmant du langage patriarcal. Et aussi un lien profond avec l’art. C’est pour cela que nous devons considérer d’abord les implications de femmes échangeant du pouvoir (recevant et donnant un pouvoir dont la source unique est une femme) ; et deuxièmement une forme d’art sexuel de femmes et l’utilisation de l’art dans la lutte politique et l’auto-définition.

POUVOIR - Dans une interaction sexuelle S/M on assume deux choses :

D’une part que la masochiste est une femme en pleine possession de son pouvoir. Pouvoir physique et émotif auquel elle peut choisir de renoncer temporairement au bénéfice de son amante. Et pouvoir mental et spirituel, qu’elle garde tout au long de l’interaction et qu’elle utilisera pour récupérer son pouvoir physique et émotif quand elle aura atteint sa limite : satisfaite par l’utilisation de ce pouvoir par son amante ou simplement qu’elle désirera avoir le plein contrôle sur elle-même à nouveau.

D’autre part que la sadique est une femme forte de son pouvoir et suffisamment digne de confiance pour que la masochiste lui accorde une partie du contrôle sur son corps et ses émotions. La sadique a la responsabilité de satisfaire les besoins physiques et émotifs de son amante tout en gardant le contrôle d’elle-même afin de ne pas commettre l’erreur de dépasser le consentement de la masochiste et donc de la blesser.

Ainsi les deux femmes en présence se sentent fortes. Elles se perçoivent l’une l’autre comme des êtres investies de pouvoir. Ce dernier est valorisé, ritualisé et célébré dans l’interaction sexuelle. Les implications politiques de femmes qui se reconnaissent fortes sont évidentes. Le mouvement des femmes s’est d’abord appliqué à rejeter le contrôle du patriarcat sur nos vies, nos corps, esprits et émotions. Une affirmation de notre propre pouvoir, de notre contrôle démontre dans une certaine mesure une victoire politique.

ART - Je peux dire de mon amante qu’elle m’a frappé les jambes 47 fois avec une ceinture. Ceci ne dit qu’une partie de la vérité. "Objectivement" ce serait toute la vérité nécessaire pour faire des statistiques. Cependant, ce qui est réellement arrivé c’est que sa ceinture noire a cinglé mes cuisses ; mon sang a battu plus vite dans mes veines. J’ai tressauté au contact du cuir caressant mes muscles tendus. Je n’ai plus été capable de compter les coups. J’ai perdu la notion du temps... Nous découvrons que la manière traditionnelle d’exprimer la vérité est remise en question. Le subjectif ("féminin") est aussi réel.

De manière à dire notre vérité, nous devons aussi inclure la dimension subjective aux faits objectifs. Nos imaginations, nos émotions et sensations participent à tous les événements que nous vivons. Elles sont les supports de la créativité. Et la création devient de l’art en intégrant la dimension de l’esthétique.

L’Art est politique. Pourquoi ne pas concevoir aussi la politique comme une forme d’art ? Par exemple, comment puis-je séparer un échange de pouvoir de la manière dans lequel il se réalise ?

« Elle m’a frappé 47 fois... » est un énoncé objectif qui implique que c’est elle qui agissait, elle qui avait le pouvoir.

Mais "sa ceinture noire..." Bon, à présent la vérité : je suis en train de participer. Je vois la couleur de la ceinture, je perçois les caresses de mon amante quoique objectivement c’est seulement le cuir qui touche ma peau.

En fin de compte que s’est-il passé ?

Peut-on imaginer que l’une d’entre nous puisse se satisfaire d’un acte gratuit de violence ? Est-ce que nous aurions pu jouir d’une scène exécutée mécaniquement sans l’intervention de nos émotions ? Non, ça ne peut être aussi simple. On ne peut réduire la scène à une personne faisant mal à une autre, avec n’importe quoi, comme un automate.

Non, dans ce cas précis tous les détails ont une importance, une signification pour le système émotif des participantes. Ce doit être sa ceinture sur mon corps, la ceinture doit cingler l’air, nous l’entendons, l’interprétons ; je dois ressentir les coups comme étant des caresses. Or sans dimension esthétique c’est impossible. On ne peut plus fantasmer, plus interpréter. C’est alors le cauchemar de l’abus physique, un règlement de compte ou un jeu stupide. C’est une expérience sexuelle pas drôle du tout, franchement ennuyante, parfois épeurante. (Je peux faire la différence pour avoir déjà vécu l’absence de dimension esthétique dans un contexte sexuel.) Ce qui est sûr c’est que je ne consentirais jamais de mon plein gré à m’ennuyer ou à être intimidée par qui que ce soit. "Momentanément terrifiée par la vision de son couteau sur l’oreiller à côté de mon visage..."

Oui, mais traumatisée par la peur non, merci. Ceci fait toute la différence, et permet de dire que c’est à une création artistique que nous participons mon amante et moi. Nous improvisons avec de multiples émotions et sensations. A mesure que nous progressons dans la maîtrise de ce médium les résultats deviennent plus plaisants, plus satisfaisants.

La confiance grandit entre nous à mesure que je récupère mon pouvoir, chaque fois que je le demande et qu’elle apprend que bien sûr je vais le redemander. C’est ici le cœur de la subtilité de la dynamique du pouvoir dans une scène S/M. Ce dernier circule de la masochiste à la sadique dans un mouvement de va et vient que seule la masochiste peut rompre à la seconde où elle le désire.

De plus nos scènes sexuelles, nos créations possèdent le pouvoir additionnel de l’esthétique. Qu’elles soient jouées vêtues de cuir noir et de dentelles blanches ou dans le décor d’un mur de briques nues auquel s’attachent des chaînes. De la grande tragédie. Avec la participation de l’auditoire. La démonstration d’un pouvoir politique chanté par nos corps, ressenti et compris dans nos bras et nos vulves. Au moment de l’action je suis l’essence même du pouvoir.

C’est en terme d’apprentissage qu’il faut comprendre la dynamique du plaisir. Nous rencontrons très rarement deux femmes (ou plus) qui peuvent se retrouver ensemble et satisfaire les fantaisies de chacune la première fois qu’elles font l’amour. Et même si elles ont pu le faire, leurs imaginations vont probablement faire naître une nouvelle stimulation à expérimenter, une autre scène à jouer, une autre sensation à apprécier.

Habituellement il est important de faire connaître ses attentes à l’avance. Les mouchoirs, les mots codés, les discussions pratiques, l’échange des idées, des fantasmes, tout peut contribuer à donner des indices sur les désirs de chaque femme. Cependant ces indices ne constituent pas une structure rigide, ils servent de canevas souple sur lequel on peut broder. Chaque scène S/M prend une tournure qui lui est propre une fois qu’elle est en cours, et nous finissons par explorer des dimensions de nous-mêmes dont nous n’avions jamais soupçonné l’existence avant... Il n’y a rien qui ressemble à un travail fini dans le développement d’une relation. C’est pour cela qu’il devient de plus en plus important d’entretenir une communication ouverte et claire. Cela fait peur quelque fois d’expérimenter certains aspects du pouvoir, spécialement si ça ne nous est pas familier. Quelquefois une scène S/M peut nous mettre en contact avec de vieilles peurs, des peines refoulées, des confusions. Du courage, de la compassion, un esprit clair sont nécessaires pour transformer ces blessures en expériences d’apprentissages, à transcender notre vulnérabilité pour qu’elle devienne force. La transformation des effets du pouvoir par l’amour ne manque pas de connotations spirituelles.

Pendant les dix dernières années nous avons affirmé que nous étions fortes en tant que femmes, en tant que lesbiennes. Nous l’avons fait à moitié sur la défensive, à moitié avec l’espoir de créer une nouvelle réalité par la force de nos affirmations. Or nous commençons enfin à le croire. Le temps est venu de décider ce que nous voulons faire avec ce pouvoir. La plupart d’entre nous savons que nous ne voulons pas construire des monopoles capitalistes, des hiérarchies ou des machines de guerre avec lui. Aussi nous commençons à explorer le pouvoir à l’intérieur des microcosmes que sont les relations de personne à personne ou celles de groupes restreints.

Nous avons détruit de vieilles idées et nous nous programmons dans de nouvelles manières de penser que nous créons. Nous avons rejeté les définitions patriarcales et nous commençons à développer nos propres conceptions de l’esthétique, notre propre culture, notre art. Nous avons vu que le pouvoir existe, que nous le voulions ou non, et qu’il apparaît constamment comme un aspect des relations interpersonnelles, comme une manifestation d’énergie chaque fois que deux êtres sont en contact. Nous ne souhaitons pas exprimer le pouvoir dans les formes traditionnelles de la compétition et de la comparaison -perdre ou gagner-, meilleur ou pire. Nous éprouvons le besoin de connaître le pouvoir d’une manière créative et belle. Notre culture identifiée comme "la culture lesbienne" est définie premièrement par notre sexe, et ensuite par notre sexualité. C’est mon opinion que la suite logique implique que notre pouvoir et notre art trouvent à s’exprimer dans notre sexualité aussi bien que dans le reste de nos vies.

Aussi n’est-il pas surprenant que le sado-masochisme devienne un sujet chaud dans la communauté lesbienne. De plus en plus de femmes l’expérimentent. Une expression intime du pouvoir personnel. Expression et pouvoir. Et la plus belle des relations : celle du pouvoir et de la confiance. Quand nous pouvons avoir confiance en quelqu’une avec un pouvoir qui ne lui sert pas à nous opprimer, quand nous pouvons nous faire confiance à nous-mêmes en sachant que nous n’utiliserons pas notre pouvoir pour opprimer, alors pouvoir et oppression ne sont plus automatiquement liés. Le pouvoir peut récupérer sa véritable dimension de potentiel d’énergie.

Pourrons-nous apprendre à respecter toutes les formes d’énergies qui nous sont offertes, à les expérimenter jusqu’à ce que nous trouvions des manières de les utiliser qui soient belles, saines et honnêtes.

LE SADO-MASOCHISME LESBIEN : POUVOIR ! ?

Danielle Charest – AHLA - Vol II - n° 2 – octobre 1983 – pp 39-45- Montréal

ETE 1981 - Des québécoises reviennent du Michigan en nous annonçant l’arrivée imminente des lesbiennes S/M. Elles ont "envahi" le festival,on ne voyait, on entendait qu’elles. Il faut dire qu’elles sont particulièrement "visibles" et voyantes avec leurs chaînes et leurs colliers. L’étalage de tous ces jouets (toys) pour utiliser leur propre vocabulaire, fait d’ailleurs partie du "jeu", de la mise en scène du S/M lesbien qui est théâtre, expression créative et esthétique, et non pas oppression, comme le soutient Amber.

Le temps passe mais, même si ce qui origine des USA ricoche invariablement ici, le phénomène du "coming out" S/M des lesbiennes ne se répand pas ici comme la traînée de poudre à laquelle certaines s’attendaient. A part les discussions informelles de L’après Michigan, à peine une petite présence lors de la manif contre la violence faite aux femmes la même année, de bons chiffres de vente pour le classique pro S/M "Coming To Power" à la librairie Androgyne, rien qui ressemble à un déferlement ou aux débats passionnés et déchirants des américaines. En fait c’est beaucoup plus en Hollande, en Angleterre et tout récemment en France, par exemple, que Le S/M devient visible, préoccupation politique et de là controverse.

Mais voilà que deux ans après ce fameux Michigan, nous recevons un article pro S/M traduit de l’américain. Pourquoi le publier et se donner la peine d’y répondre alors qu’en réalité ce sont beaucoup plus les sectes religieuses, Rajnev en tête qui se propagent dans un certain milieu lesbien ici. Outre Le fait que nous avons comme principe de publier les écrits des lesbiennes concernant un aspect du lesbianisme et que nous y répondons lorsqu’ils expriment des idées avec lesquelles nous sommes en désaccord , il y a que, malgré tout le S/M lesbien pose des questions jusque là laissées dans l’ombre. De plus la seule question : Pourquoi le S/M, du moins celui qui s’est doté d’une théorie politique, ne s’est-il pas incrusté chez-nous ? en vaut la peine.

DU S/M "PRIVE" AU S/M "POLITIQUE".

Lorsque je dis qu’il n’y a pas ici de mouvement S/M lesbien, je ne prétends pas, au contraire, qu’il n’y a pas de lesbiennes qui pratiquent cette activité dont on dit souvent qu’après tout elle se limite au domaine sexuel. "... j’ai affirmé que l’idéologie de la société patriarcale en est une de sadisme culturel." [1] Comment est-il en effet possible d’isoler un secteur de l’activité humaine en lui prêtant une dynamique totalement indépendante de La réalité sociale et politique environnante.

Depuis quelques années, à travers entre autres la porno hard-core et sous le couvert de la libéralisation des mœurs appuyée par un certain gauchisme, les tenants de la contre-culture, la société étale de partout la violence sexuelle. Les gais se délectent de S/M et les "Leather bar" [2] de New-York ont le vent dans les voiles dès 1975. Évidemment San Francisco suit de pas très loin et c’est alors que les Lesbiennes proches des gais ( ce "détail" a son importance), se découvrent tout à coup S/M elles aussi ou commencent à afficher ce qu’elles ressentent ou vivent depuis des années sans jamais avoir osé l’affirmer publiquement.

Alors que pour Les gais Le S/M ne pose pas de problèmes politiques, il n’en est pas de même pour les lesbiennes. En effet Le féminisme n’a-t-il pas, à juste titre, dénoncé et lutté contre la violence faite aux femmes, la porno, l’oppression, le sexisme etc. Comment alors rallier féminisme et S/M ? Plusieurs de ces S/M sont militantes, certaines depuis des années,et leur "choix" sexuel provoque, scandalise, est taxé d’antiféminisme. Le privé est politique, ces lesbiennes le savent très bien, il ne leur reste en sorte qu’à prouver que le S/M des lesbiennes n’entre pas en contradiction avec le féminisme et qu’il n’y a donc aucune raison qu’elles soient rejetées des rangs. C’est ainsi que je m’explique en partie le cheminement politique des Lesbiennes S/M..

LE LESBIANISME FEMINISTE S/M

Bien sûr il y a des variantes, des divergences d’un groupe, d’une individue a l’autre mais toutes s’entendent sur un certain nombre de points. Les idées qui alimentent leur ligne politique elles les puisent à même l’argumentation de la gauche libérale et les principes énoncés par le féminisme.

Des premiers elles adoptent la position du droit de. chaque individu à exprimer ses envies quelles qu’elles soient. La liberté, l’individualisme, l’anticonformisme, la marginalité voilà les valeurs de cet anti-moralisme qui finit par cautionner tout et n’importe quoi y compris le viol, la porno, la violence sexuelle. Les hommes qui défendent ces idées n’ont pas tellement à se préoccuper que la liberté des uns entraîne l’oppression des autres en l’occurrence les femmes, puisqu’ils sont toujours les gagnants dans la partie. D’ailleurs à propos de la porno,-l’attitude des lesbiennes S/M est ambiguë et contradictoire. D’un côté elles dénoncent la violence faite aux femmes et de l’autre elles sont tout à fait satisfaites du contenu de livres tel "Histoire d’O".

Après tout la droite est contre nous .N’est-ce pas là la meilleure preuve de notre crédibilité disent ces gauchisants. C’est très simple au fond : si la droite est contre nous, c’est que nous sommes révolutionnaires. Et si vous êtes contre nous c’est que vous êtes de droite, bigotes, "straight" (pas dans le sens signifiant hétéro évidemment) et surtout pas libérées.

Mais en réalité la droite n’utilise-t-elle pas le S/M comme moyen de s’attaquer aux gais, aux lesbiennes alors qu’en fait elle n’a profondément rien contre le dit S/M ? Son jeu n’est-il pas d’hypocritement condamner parfois les manifestations de ce qu’elle entretient subtilement afin de maintenir son pouvoir. Entre gauchisme, libéralisme et droite il n’y a après tout qu’une simple différence de tactiques.

"S’il peut y avoir consensus parmi plusieurs catégories féministes, c’est bien autour du concept du droit de chaque femme à l’auto-détermination et à la poursuite, à sa manière à elle, de ses propres objectifs." [3]

Malgré cela, selon les S/M, les féministes les oppriment par leur opposition à ce qui est pourtant, toujours selon elles, un acte de prise en charge de soi, une application de la revendication théorique, une belle démonstration d’autonomie. Non seulement on peut être à la fois S/M et féministe mais le S/M, pour la plupart d’entre elles, est féministe.

Le ressenti, le subjectif, l’émotif si méprisés par le patriarcat et que le féminisme tente de réhabiliter, le S/M lesbien s’y réfère constamment. La tête trompe, pas les émotions. Comme si celles-ci ne subissent pas leur propre "lavage de cerveau" hétérosocial. Comment au contraire ne pas s’interroger sur les origines de nos émotions, sur ce qui les provoque. Qu’est-ce qui nous fait "ressentir" ces pulsions S/M ?

Le seul reproche qu’elles adressent au féminisme c’est de tomber dans le piège d’un certain conservatisme moral. Gayle Rubin, dans "Corning to Power" donne l’exemple du mouvement féministe du XIXème siècle qui s’est attaqué tout à la fois contre la porno, la masturbation, la prostitution et l’obscénité.

Si les lesbiennes S/M font des pieds et des mains pour prouver que leur sexualité ne va pas à l’encontre du féminisme et qu’elles mêmes sont féministes, par contre nulle trace où que cela soit de S/M qui s’associent au lesbianisme séparatiste ou radical. Et pourtant j’en ai lu des textes. Pat Califa (tête d’affiche du groupe SAMOIS de San Francisco) ne dit-elle pas, dans un article paru dans "Hérésies " qu’elle se définit comme féministe [4] mais pas comme séparatiste. Et cela parce que, selon elle, les hommes peuvent participer à la destruction du patriarcat et qu’il y a certainement beaucoup à apprendre des hommes politisés et des hommes déviants. Or le féminisme, contrairement au radicalisme, ne laisse-t-il pas la porte ouverte à ce type de position politique. Après tout le féminisme dénonce certaines manifestations du patriarcat (la violence faite aux femmes, le sexisme etc.) et non pas le système de l’hétérosexualité en tant que tel.

Qui plus est certaines critiques du S/M jettent le blâme sur les séparatistes. Rose Braidotti, dans JOUIR,après avoir cité un passage de Pat Califa où cette dernière parle des "vanilla sex" [5] s’empresse d’attaquer les lesbiennes séparatistes en dénonçant "l’emprise totalitaire et répressive du lesbianisme séparatiste militant, au sein du mouvement féministe". [6] Puis elle rapporte le jugement énoncé par Ti-Grace Atkinson au sujet des mêmes séparatistes : "néo-impérialistes, néo-nationalistes, néo-facistes". [7]

Voilà donc les séparatistes coupables d’avoir poussé d’autres lesbiennes vers le S/M. Quel beau détournement de la part de Rose Braidotti. Au pire on dit des féministes que leur moralisme est étouffant et lorsqu’on parle des séparatistes alors on dit que leur totalitarisme, leur fascisme est la cause du S/M lesbien.

Mais parlons-en donc du lesbianisme puisqu’il fait partie du trio : lesbienne/féministe/SM.

Quelque part elles ont beau jeu ces lesbiennes S/M à cause du vide théorique à propos de la sexualité lesbienne. Il existe d’une part l’analyse de la sexualité hétéro, qui ne s’applique donc pas à nous, et de l’autre une forte tendance à l’idéalisation du lesbianisme : le féminisme est la théorie, le lesbianisme la pratique. On s’attend alors du lesbianisme qu’il échappe, par définition et immédiatement, à l’emprise du système hétéro, l’absence des hommes dans notre vie affective éliminant complètement la reproduction des patterns hétéros entre nous. Nous voilà vouées à la perfection. Et gare à la moindre erreur, ce sera alors la preuve de l’inefficacité du lesbianisme à combattre le système. Les Rose Braidotti et compagnie ne s’en privent d’ailleurs pas.

Or voilà que des lesbiennes de l’intérieur du mouvement viennent nous dire que oui elles sont S/M, que non nous ne pouvons pas les ignorer. Le choc est dur mais nécessaire et très instructif. Elles nous ramènent à la réalité. Elles sont les premières à théoriser autour de la question de la sexualité, elles sont les premières à démontrer que notre sexualité est fort complexe (les valeurs de la "féminitude" et de la douceur ne suffisent plus) et que la société at large coule à flots dans nos veines.

"... Les arguments anti-S/M souffrent généralement d’un idéalisme utopique. On a assumé, et c’est une erreur, que nos désirs et notre comportement peuvent se transformer automatiquement par l’acceptation mentale des idées politiquement "correctes." [8] de dire Karen Rian dans "AGAINST MASOCHISM".

Il n’a pas été facile pour bon nombre de lesbiennes de rendre publique leur sexualité S/M. Beaucoup réagissent par la condamnation alors que toutes nous "succombons" à un moment ou à un autre, d’une manière ou d’une autre aux effets de la société ambiante. Comment nous départir d’un claquement de doigts de ce qui nous entoure et nous a formées ? Nous pourrions peut-être remettre la charrette là où elle va, c’est-à-dire derrière les bœufs.

D’ailleurs les S/M elles aussi idéalisent le lesbianisme. Elles affirment que contrairement au S/M hétéro, le S/M lesbien se pratique entre égales, entre partenaires consentantes, en pleine possession de leur pouvoir : "Quant nous pouvons avoir confiance en quelqu’une avec un pouvoir qui ne lui sert pas à nous opprimer, quand nous pouvons nous faire confiance à nous-mêmes en sachant que nous n’utiliserons pas notre pouvoir pour opprimer, alors pouvoir et oppression ne sont plus automatiquement liés." nous dit Amber dans son article. Enfin des lesbiennes qui osent "dealer" directement avec la notion de pouvoir et qui font craquer cette couche de peur et de culpabilité qui nous assaille lorsque nous nous approchons précautionneusement d’un concept tellement lié à l’idée d’oppression, mais que nous n’avons jamais redéfini en nos termes.

Cependant venons-en au concret. Lorsque je lis les nouvelles publiées dans "Corning To Power", édité par SAMOIS qui est une organisation lesbienne/féministe (c’est moi qui souligne), je déchante rapidement. J’y retrouve la reproduction fidèle des patterns hétéros. On a beau "consentir" au mépris de soi, à l’humiliation, au jeu dominant/dominé, maître/esclave (des lesbiennes noires ont démontré à quel point c’est insultant pour elles) [9] , à la punition cela ne démontre aucune prise de pouvoir mais bien au contraire un renforcement de structures si peu « originales », une impuissance à s’extraire d’un processus auto-destructeur, bref l’envers du pouvoir.

Quant au contenu esthétique et artistique de ces nouvelles je n’y vois, n’en déplaise à Amber, que pauvreté de l’imaginaire dans un déroulement inlassablement le même d’un conte à l’autre : tu me frappes, j’en jouis, tu en jouis puis nous nous endormons tendrement enlacées, aimantes, respectueuses l’une de l’autre etc., etc., etc.

Si le phénomène du S/M lesbien a pris tant d’ampleur c’est entre autres je crois, parce qu’il est effectivement possible de découvrir en soi des fragments plus ou moins importants de cette intériorisation de la violence contre nous-mêmes. S’il ne s’agit pas de le nier, il ne s’agit pas non plus de le cautionner, le valoriser. C’est le piège dans lequel sont tombées les lesbiennes pro S/M.

QUANT A NOUS ICI

Qui a exprimé publiquement une positon en faveur du S/M ? Il y a bien sûr Josée Yvon, cette hétéro-bi-lesbienne(?) à ses heures qui "célèbre" les perversités en bonne poète de la rue St-Denis qu’elle est. Elle a malheureusement réussi à se gruger une place dans les revues gaies.

Et il y a les homosexuels. Il n’y a qu’à feuilleter SORTIE pour le constater. Ce sont les gais de New-York et de San Francisco, comme je l’écrivais en début d’article, qui ont transmis le "goût" du S/M aux lesbiennes. Pour cela il fallait bien que les rapports entre les deux groupes soient harmonieux.

Or ce n’est pas tellement le cas au Québec. Il y a eu un certain côtoiement à L’ADGLQ et à la revue BERDACHE, mais la lune de miel est maintenant bel et bien terminée et de toute façon la majorité des lesbiennes militantes n’ont jamais tellement fréquenté le mouvement gai. Il n’y a qu’à se rappeler de la rencontre lesbienne du 27 mars 82. La proposition de participer à la manif gaie a vite été écartée. Je pense donc que c’est cette distance d’avec le mouvement gai qui a permis, entre autres, que le S/M Lesbien ne se développe pas de façon significative ici.

Ce qui n’est pas un tort, car les questions importantes que pose le S/M ne suffisent tout de même pas à ce que je partage l’analyse qu’elles en dégagent.

Références : "AGAINST SADOMASOCHISM a radical feminist analy-sis," 1982,USA - Les revues françaises LESBIA n° 7. et 8-9. et ESPACE n° 16-17.

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[1"... I asserted that the ideology of patriarchal society is that of cultural sadism."K. Barry , "TRIVIA" n° 1 ,1982

[2"leather bar" le cuir, 2ème peau des S/M, a donné son nom aux bars où se retrouvent les gais S/M

[3"...if there is one thing that might be likely to produce consensus among différent types of feminists it is the concept of a woman’s right to define herself, and to pursue her own goals in her oun way." Johanna Reidmoldt dans "COMING TO POWER" p.82 – SAMOIS -1981 - San Francisco

[4"HERESIES" n°12- SEX ISSUE - New-York, 1981

[5"Vanilla sex" : définition par les lesbiennes S/M de la sexualité des "autres" lesbiennes

[6"JOUIR", mars 1983 - LES CAHIERS DU GRIF, France

[7"JOUIR", mars 1983- LES CAHIERS DU GRIF, France

[8"Vanilla sex" : définition par les lesbiennes S/M de la sexualité des "autres" lesbiennes

[9Y. Karen Sims et Rosé Mason dans COMING TO POWER, p.99