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vendredi 2 mars 2012
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L’ORDRE DES SEXES SELON LE FN

Interview, Claudie Lesselier, Ex Aequo, Novembre 1997, Propos recueillis par Éric Lamien

Comment le Front National aborde‑t’il l’homosexualité dans ses discours ?

Le Front National est le seul parti politique qui s’exprime sur ce sujet de manière aussi explicite, et aussi régulièrement. On peut parler d’une véritable visibilité du thème de l’homophobie dans ses discours. Qu’il s’agisse de textes doctrinaux, de réactions en rapport avec l’actualité (le CUS, le sida, la Gay Pride...) ou de ’dossiers’ dans la presse d’extrême droite. Cette homophobie est due à des raisons idéologiques et théoriques. Le FN défend une conception du monde basée sur le respect d’un ordre sexuel, moral et social. Pour ce parti, à la base de l’ordre des sexes, il y a la complémentarité homme/femme et l’hétérosexualité perçue comme seule relation conforme à la nature. L’homosexualité est une ‘inversion’ de l’ordre naturel et représente un scandale qui met en péril l’ordre social tout entier. Pour le FN, le social est structuré par des lois naturelles ; (ou des lois divines pour la frange intégriste de l’extrême droite). Dans certains cas, l’ordre des sexes est exprimé comme un ordre écologique : la reproduction de chaque espèce naturelle est sa raison d’être, le destin des êtres humains est de se reproduire. L’homosexualité et son potentiel de développement ‑ car il y a aussi le fantasme d’une généralisation de l’homosexualité si on y laissait libre cours ‑ sont vus comme un "danger social” facteur de déclin démographique et de déstructuration de la famille. Or pour le FN, la famille est une structure d’autant plus essentielle qu’elle permet la transmission des valeurs morales et de l’identité nationale. L’homosexualité est donc associée à la décadence des moeurs et de la civilisation et suscite de véritables discours apocalyptiques. Pour Jean‑Marie Le Pen : “L’homosexualité conduit, si elle se développe, à la fin du monde” (entretien sur Fréquence Gaie, 1984).

Cette homophobie s’exprime‑t’elle dans le programme même du FN ?

Pas explicitement, si on prend “Les 300 mesures pour la renaissance de la France”, édité en 1993, qui est le “programme de gouvernement” du FN. Mais quand il est affirmé que tout sera mis en œuvre pour “la préférence familiale”, afin de "faire pièce aux modes de vie irréguliers et marginaux.", cela vise implicitement à la fois l’union libre, le concubinage, le divorce et l’homosexualité. Pour le FN, il ne s’agit pas tant, concernant l’homosexualité, de revenir sur les lois existantes, que de s’opposer à l’obtention de tout droit nouveau, qu’il s’agisse du Contrat d’Union Sociale ou bien encore de l’extension des lois anti-discriminatoires à la protection de l’orientation sexuelle. Le FN s’oppose également avec constance à la diffusion des méthodes de prévention du sida, perçues comme du prosélytisme homosexuel, et à l’évocation de l’homosexualité dans la culture et les médias de masse. On l’a vu encore récemment à Vitrolles, avec le licenciement de Régine Juin, directrice du cinéma local.

La dénonciation de l’homosexualité est‑elle du même ordre que la stigmatisation de l’immigration ?

Pour l’extrême droite, l’homosexualité est aussi symbole de “cosmopolitisme” puisque elle dépasse les classes sociales et les frontières. L’homosexualité est dénoncée comme vagabondage sexuel multiple qui fait fi des barrières “ethniques”. Avec pour conséquence la diffusion de maladies contagieuses dans des milieux “naturellement” protégés. L’homosexuel est apatride ou, dans une traduction plus actuelle de ce terme, mondialiste. C’est bien sûr dans la distinction entre "le national” et "l’étranger" que se situe pour ce parti la dénonciation de la plus grave contradiction sociale. La distinction hétérosexualité /homosexualité ne peut pas être un vecteur d’action Politique aussi déterminant, le principal bouc émissaire reste l’immigré. Cependant, les deux peuvent être mêlés, quand par exemple, Le Pen vilipende l’étranger comme violeur homo ou hétérosexuel : “Demain les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille ou votre fils.”("L’heure de vérité", A2, 1984)

Le Front National construit son unité dans la désignation de boucs émissaires et les homosexuels font partie des ennemis à stigmatiser. Les milieux mobilisés par l’extrême droite, milieux populaires ou petit bourgeois, vivent dans une sensation d’insécurité et de ressentiment qui se traduit par la volonté d’ériger des frontières entre eux et les autres, entre "le normal” et "l’anormal”, et à rejeter ceux qui ne leur ressemblent pas. C’est une peur, une phobie au sens propre du terme. Le ’racisant’ se perçoit aussi comme une victime. Or l’homosexuel, pour les sympathisants du FN, conjugue à la fois la figure de "l’autre”, de l’ennemi, et de celui qui a le Pouvoir. Le "Français normal” se sent ainsi à la fois victime des immigrés qui lui prennent son travail, victime des homosexuels qui dominent les médias et la culture, et victime des juifs qui dominent le monde. D’où la dénonciation régulière, dans la presse d’extrême droite, de la “mafia rose”, du prosélytisme du “lobby gay”, lobby présent selon eux essentiellement dans les médias de masse et la culture, mais aussi au sein des partis de gauche. Ce lobby gay disposerait de ressources financières grâce au détournement des fonds publics de lutte contre le sida et aurait un pouvoir occulte, il serait infiltré dans l’appareil d’État. On retrouve ici la théorie du complot, chère à l’extrême droite, un complot international qui verrait l’association du lobby gay au lobby mondialiste (c’est-à-dire juif) et aux lobbies américains comme le mouvement en faveur de l’émancipation des femmes.

Est‑ce qu’il n’y a pas cependant des nuances dans la manière dont le FN se positionne par rapport à l’homosexualité ?

Oui, ces nuances sont portées par des cadres du FN sensibles à l’opinion, et soucieux de contrer leur image d’intolérance. Pour eux, l’homosexualité est acceptable, à certaines conditions. Que cela reste circonscrit à la vie privée, dans la discrétion, et ne donne évidemment lieu à aucun militantisme (le fameux « prosélytisme » !). L’homosexualité peut aussi être tolérée si elle reste conforme aux rôles de genre, à la virilité ("Au Front National, il peut y avoir des homosexuels, mais il n’y a pas de folles” selon Le Pen). Cela permet au FN d’accepter l’homosexualité de certains militants et d’une partie de la mouvance skin. Il s’agit d’une homosexualité où le rôle dit "actif” est l’expression d’une super-virilité, d’une sexualité de domination. A cet égard, la culture militaire et coloniale reste très présente chez nombre de cadres du FN qui gardent la nostalgie de ces milieux unisexuels... Enfin, pour certains militants, l’homosexualité est acceptable si elle reste dans le cadre de la communauté nationale française et n’est pas une identité primordiale : "Homosexuel, mais Français d’abord ! “ Il ne faut d’ailleurs pas oublier que c’était l’approche défendue par la revue homosexuelle d’extrême droite “Gaie France”. Pour ses rédacteurs, l’homosexualité masculine entre membres d’une même communauté permet de souder cette communauté...

Comment est perçue l’homosexualité féminine ?

Elle est peu abordée dans les discours d’extrême droite. Les femmes sont de toute façon des êtres secondaires, de peu d’importance. Pour l’ordre social, les relations homosexuelles entre femmes ne semblent pas représenter un tel danger que celles entre hommes. Les femmes lesbiennes sont souvent décrites comme laides, masculinisées, travesties en homme et elles sont évoquées avec mépris : on parle de "ces dames “.Mais les lesbiennes représentent un réel danger pour le FN et sont stigmatisées quand elles sont associées au féminisme. Dans les comptes-rendus des journaux d’extrême droite, elles sont dénoncées comme étant les plus virulentes et les plus menaçantes lors des manifestations pour les droits des femmes ou pour le droit à l’avortement. Quant au féminisme, il est réputé destructeur de la famille et donc de l’ordre social, puisque selon les frontistes, il pousse les femmes à renoncer à leur fonction féminine, à avoir moins d’enfants, et à occuper les emplois des hommes. Le féminisme est un danger pour l’extrême droite puisque c’est un mouvement d’émancipation des individus. Or dans l’idéologie frontiste, chaque être humain n’a de place que par rapport à sa communauté : la famille, l’entreprise, la nation. L’individualisme est perçu comme une valeur négative. En ce qui concerne la femme, elle n’existe que dans sa complémentarité avec l’homme et dans, sa fonction familiale. Certains courants d’extrême droite prônent un “vrai” féminisme : la maternité, la défense de la femme au foyer.

Le discours même du FN et singulièrement de son leader, fait souvent allusion à la sexualité et à l’homosexualité quand, par exemple, Le Pen dénonce « l’Europe des pédérastes », le "libre‑échangisme" ou qu’il affirme refuser de se "laisser enculturer”... L’extrême droite populiste utilise volontiers un discours sexualisé qui procède par allusions et plaisanteries homophobes et sexistes, parce que ce registre trivial lui permet de se distinguer de “l’élite”, de l’establishment politique” des “énarques”. Ces jeux de mots soudent le groupe autour de normes communes et de rejets communs. Ces allusions visent parfois des adversaires politiques. L’utilisation de ce registre de disqualification de l’adversaire vu comme “un enculé”, un pédé” existe partout ‑il n’y a qu’à entendre certains slogans dans les manifestations contre l’extrême droite... Mais le FN est le seul à l’assumer publiquement et à en faire consciemment une tactique d’adhésion à son discours.

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