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vendredi 2 mars 2012
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Festival « Quand les lesbiennes se font du cinéma » (novembre 1996). Débat à propos du stand de vente de jouets sexuels et de la programmation du festival.

Lettre de Jennifer Gay et Véronique Sourisseau, Lesbia magazine, février 1997

Comme nous l’avons dit lors du débat « Objets/Pratiques/Identités » le projet du stand est né d’une envie de continuer une discussion forte et profonde qui a commencé au 7ème festival lors du débat sur la pornographie. Le stand était présent pour alimenter le débat. En cela, il a été une grande réussite.

Mais sa réussite a été plus large encore. Nous avons tenu ce stand toutes les deux, avec l’aide de quelques amies. Nous avons vu passer une quantité incroyable de femmes, et sur le nombre nous pouvons compter sur deux de nos quatre mains celles qui nous ont fait connaître leur désaccord. En, fait, les réactions ont été très positives – curieuses, enthousiastes, soulagées, enjouées, et nous en sommes heureuses.

Nous sommes toutes d’âge, de classe, de race, de pays et d’expérience différents. Certaines questions, problèmes et luttes concernent les unes plus que les autres. De tous les débats qui ont lieu dans nos communautés, nous choisissons ceux qui nous apportent le plus, ceux auxquels nous pouvons apporter quelque chose. Les autres, on les laisse aux autres. Lucette Cysique a parlé pour beaucoup lors du débat, en disant qu’elle en avait assez des femmes qui viennent systématiquement aux débats frôlant la sexualité pour empêcher que les discussions aillent dans un sens qu’elles n’approuvent pas.

Cela nous amène à quelque chose de bien plus important, la question du respect à l’intérieur de la communauté lesbienne. Nous refusons de nous engager dans cette comptabilité de nos années de militantisme comme preuve de notre féminisme ou de notre lesbianisme. Nous refusons de croire que les femmes avec qui nous ne sommes pas d’accord ne sont pas des féministes et sont l’ennemi. Nous ne souhaitons plus entendre d’autres lesbiennes nous accuser de n’être ni lesbiennes, ni féministes, ni militantes, ni réfléchies, etc.

Les femmes qui ont trouvé notre initiative intéressante et importante sont suffisamment nombreuses pour nous confirmer que nous ne nous sommes pas trompées. Des questions fondamentales sont liées à notre sexualité, et elles méritent leur place dans notre communauté. Nous n’acceptons pas non plus que notre sexualité soit définie par d’autres –hommes ou femmes. En tant que femmes adultes, nous sommes capables d’aborder des questions parfois compliquées, douloureuses, pas très claires, intimes, houleuses. Ces discussions nous mènent et nous mèneront à une meilleur compréhension de bien des questions :

Comment constituons nous notre communauté ? par épreuve politique, par identité sexuelle ? par un mélange des deux ?

- Quels sont les enjeux de classe, d’éducation, de pouvoir, dans cette définition ?

- Quel est le rôle de l’oppression de la sexualité ? comment cette oppression s’exprime-t-elle ?

- Comment gérer les différences fondamentales entre des questions qui se posent à l’intérieur de notre communauté (pratiques sexuelles entre femmes) et à l’extérieur de celle-ci (exploitation sexuelle des femmes par les hommes) ?

- Comment parler honnêtement et en confiance les unes avec les autres des choses qui nous dérangent et nous font peur –dont on a envie, qu’on fait, qu’on ne comprend pas ?

Ces questions ne sont pas nouvelles mais elles sont toujours d’actualité -parce que des femmes se posent des questions ; parce que les réponses que nous avons trouvées il y a 5, 10, 15, 50 ans ne sont plus assez justes ; parce que nos expériences individuelles évoluent, et que nous avons besoin de les comprendre avec d’autres lesbiennes.

C’était notre but de continuer à aborder ces questions ensemble, dans le plus grand respect, écoute, confiance et intégrité possibles. Nous continuons dans ce sens. Que les femmes qui souhaitent participer dans cet esprit le fassent, et que les autres n’entravent pas le chemin.

Les ringardes sont de retour, prenez garde à vos godemichés

Lesbia magazine, janvier 1997

Lors du 8ème festival « Quand les lesbiennes se font du cinéma », plusieurs dizaines de lesbiennes ont manifesté leur désaccord sur la présence d’un sex-shop dit lesbien, sous des formes diverses, boycott du festival, pétitions, distribution d’affichettes… Plusieurs ont également écrit des lettres ouvertes aux organisatrices du festival pour exprimer leur mécontentement.

Plusieurs lesbiennes politiques de Paris et des régions ont souhaité écrire collectivement leurs désaccords quant aux objectifs de ce 8ème festival. En effet, en 1989, le premier festival lesbien s’était donné comme buts :

- de montrer des images fortes et positives de femmes et de lesbiennes
- de faire connaître les cinéastes lesbiennes
- de rechercher avec les festivalières les identités lesbiennes ainsi que la découverte de notre culture
- de reconstituer notre mémoire et notre histoire et les traces du mouvement lesbien
- d’animer de nombreux débats sur les thèmes de l’oppression des femmes et des lesbiennes.

Sept ans après, où en sommes-nous ? D’année en année, l’objectif du festival se centre sur le sexe. Pourquoi un festival lesbien, qui de surcroît se dit féministe, aurait-il pour principale mission de vous faire découvrir le sexe ? Ou alors, en quoi ce festival est-il différent d’un festival gai, certes il est non mixte, mais où sont donc passés le politique et le féminisme ?

En fait, que voyons nous lors des séances ? Des images réduites à une pseudo-sexualité lesbienne basée sur les rapports de domination, d’oppression, avec en prime quelques connotations racistes, comme par exemple dans le film « Pour une sexualité sans risques » où une lesbienne noire avec une perruque blonde se fait sodomiser par une lesbienne blanche… puis une femme butch fumant sa cigarette debout, à côté de sa compagne allongée en train de l’attendre en se limant les ongles ! De même dans un Guide lesbien vendu au festival, il est écrit : « un godemiché – pour être homme dominateur… Vous serez sûre de prendre votre copine comme si vous étiez un mec et lui faire passer le goût des hommes ». Cette idéologie renforce la haine de soi, c’est-à-dire la haine d’être femme.

Le festival est-il toujours un festival lesbien et féministe ?Non, et voilà pourquoi –les femmes homosexuelles disent qu’elles vivent en paix dans le système hétérosexuel patriarcal ; elles aiment les femmes, elles ne se veulent pas féministes et s’identifie au couple hétérosexuel (mariage – famille – enfants par insémination artificielle avec donneur –relations sadomasochistes entre elles…) ; enfin, elles prônent la mixité et leur solidarité exclusive va aux hommes homosexuels.

Alors que les lesbiennes politiques, féministes, radicales et séparatistes reconnaissent l’oppression des hommes sur les femmes et l’intériorisation de cette oppression qui est à la fois hétérosociale et hétérosexuelle. Elles cherchent à se libérer de cette oppression, à créer une identité lesbienne basée sur des rapports les plus égalitaires possibles.
Le catalogue du festival de cette année annonce « un sex-shop lesbien, un stand remarquable attend votre visite ». Où est la rupture avec le système d’oppression qui enferme les femmes et dont parle Cinéffable dans son programme ? A moins qu’on ne considère que les lesbiennes échappent aux rapports d’oppression de la classe des femmes par la classe des hommes ? Même si les lesbiennes ne sont pas appropriées dans leur quotidien par un homme, elles n’en sont pas moins opprimées par le système hétérosocial dans leur vie.

Faut-il rappeler que dans les années soixante-dix les féministes et les lesbiennes ont lutté contre les sex-shops, la pornographie, et aussi contre les violences sexuelles faites aux femmes et aux petites filles ? Ces luttes, et en particulier celles contre les violences sexuelles, furent un des grands acquis du féminisme : enfin le silence autour du viol et des sévices sexuels dans la famille fut rompu ; les féministes ont su inventer des soins apportés à ces femmes, à ces fillettes blessées :

- En leur redonnant une image de femmes sujet (elles menaient des actions en justice contre leur père, leurs parents proches violeurs…)
- En parlant, et si possible en groupe, y compris dans les groupes d’autodéfense, pour déculpabiliser celles qui avaient été victimes de viols
- En dénonçant les violences faites à leur corps, et en repensant / pansant différemment les rapports à ces corps traumatisés, avec des temps de relaxation, de massage, et en se réappropriant petit à petit leur corps de femmes et de lesbiennes.

On est vraiment bien loin de tout cela dans les pratiques sadomaso. Il paraît que le sadomasochisme est un jeu –justement, le jeu en vaut-il la chandelle ? Il peut devenir cauchemar, enfermement ou extase de l’opprimée qui se prétend libre. A ce jeu-là on y laisse des plumes, on y perd sa dignité et l’on aboutit à la relation maître-esclave. La sexualité, comme tout ce qui constitue cette société, est politique. Il faut en débattre et ce n’est pas en programmant des films pornographiques qu’on y verra plus clair. Aucune pratique sexuelle n’est détestable ni condamnable, sauf si elle est basée sur la souffrance, la dépendance, le viol ; de plus il n’y a pas une pratique de la sexualité, mais des pratiques plurielles.

Il y a plusieurs années, nous pouvons rappeler combien certaines organisatrices du festival avec des militantes d’Act Up avaient su nous faire réfléchir sur nos rapports entre nous et en particulier avec des lesbiennes séropositives ou atteintes du Sida ; elles ont fait circuler des gants de toutes couleurs, des digues dentaires avec différents parfums, et cette démarche, en devenant un sorte de jeu, a permis de déconstruire nos peurs face à la maladie. Ce matériel n’était plus alors considéré comme rébarbatif mais offrant, avec les garanties indispensables, des possibilités beaucoup plus larges, y compris avec celles qui jusqu’alors se trouvaient discriminées. Ce débat fut très important pour beaucoup d’entre nous et c’était gagné dans la mesure où notre imaginaire nous permettait d’élargir nos pratiques sexuelles.

Afin de justifier l’utilisation d’objets sexuels et la pratique du « jeu » sadomasochiste, les homosexuelles du festival parlent de liberté individuelle, elles osent même traiter celles qui critiquent et remettent en cause ces pratiques de « ringardes, intolérantes, mal-baisées et coincées » !

La soi-disant liberté individuelle est un leurre dans une société patriarcale et capitaliste ; ce qui est revendiqué comme liberté sexuelle n’est que la reproduction des stéréotypes bien connus de la sexualité malade des hommes, basée sur l’oppression intériorisée des femmes.

La revendication du MLF, « le privé est politique », avait pour but de remettre en cause toute relation d’oppression.

Quant aux « mal-baisées » et « coincées », les féministes étaient déjà traitées de la sorte par les hommes dans les années soixante-dix, lorsque ce mouvement était subversif. Le MLF s’est battu contre tout cela. Apparemment, la relève pour continuer le débat et la lutte n’existe pas, ou plutôt est embourbée dans des considérations qui n’ont rien à voir avec la libération et l’autonomie des femmes et des lesbiennes.

Aujourd’hui il faudrait œuvrer, semble-t-il, à l’éclosion d’un « nouveau féminisme ». Lequel ? En fait, ce nouveau féminisme ne rejoint-il pas le mouvement queer ? Mais qu’est ce que le mouvement queer ? En quelques mots c’est un mouvement né aux États-Unis qui est essentiellement centré sur la sexualité (y compris entre femmes homosexuelles et hommes gais) ainsi que sur l’identité (voir la revue québécoise Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, octobre 1996). « L’inconvénient –et le danger– de la théorie queer est que le seul dénominateur commun, la pratique de la sexualité, en fait imposé par les homosexuels masculins (encore une fois des hommes) parce que leurs préoccupations, à eux, sont réduites à la baise, aspire quantité de lesbiennes et de féministes dans un mode de pensée individualiste, psychologisant et réformateur » écrit Danielle Charest dans cette revue.

L’idéologie queer n’est-elle pas l’idéologie qui traverse le festival consciemment ou inconsciemment ? Depuis plusieurs années certaines des adhérentes de l’association Cinéffable font part de leurs contestations et de leurs propositions. Il n’est pas tenu compte de leurs remarques formulées contre des films dévalorisant les femmes et les lesbiennes, leur intégrité, et les films sadomaso. Si le festival continue sur cette lancée, ringarde et rétrograde, nous demandons à ce qu’il ne se nomme plus lesbien et féministe

Premières signataires : Anne M. – Brigitte M. – Christine A. – Claire T. – France F. – Isabelle G. – Laurence R. – Marion P. – Monique B. – Shirley P. – Yvette C. – Viviane P.

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